Le danio qui se prenait pour un combattant

Publié le par Alex Sylve

La mère Ubu vous avait promis une histoire par semaine, mais c’était sans compter les surprises de l’inspiration. Ce ne sont pas les thèmes qui manquent, évidemment, mais bien de retrouver le pouvoir de l’écriture. Sûr que d’autres sont plus doués, mais chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a.

Avant de raconter les drôles d'histoires du « Baccalauréat italien » (promis, juré, craché, dans moins d'une semaine), voici une courte histoire animalière, véridique, of course. Primo, parce que la mère Ubu aime les animaux, secundo, parce que depuis La Fontaine (et avec aussi Konrad Lorentz, Boris Cyrulnik ou Jane Goodall), on a compris qu’il y a toujours d’intéressantes morales à observer le monde animal.

Donc, en introduction, l’histoire du danio-rerio (si, si, c’est un animal, même si sans plume et sans poil) qui se prend pour un combattant (lui aussi c’est un animal, idem sans plume et sans poil, -sauf Rambo, qui n'a pas de poil mais surement la cervelle d'un pigeon-) :

Bref, dans l’aquarium de la sœur de la mère Ubu, il y a des guppys, des danio-rerio et un combattant. D’abord, pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, le danio est un petit poisson d’eau douce ; on l’appelle aussi poisson-zèbre ou poisson-pyjama à cause de ses rayures longitudinales. Dans un aquarium c’est en général un poisson relativement pacifique qui tolère les autres. Pour ce qui est du combattant, il s’agit de ces magnifiques poissons d'Asie aux couleurs vives (rouge profond, bleu, blanc ou violet) avec des nageoires et une queue en grands voiles. Certes, je pourrai vous en dire beaucoup plus en allant sur Wikipedia (du genre le nombre d’œufs pondus, la période de fraie, leur habitat naturel …), mais vous pouvez le faire aussi bien que moi si ça vous intéresse, et seuls quelques vieillards patriarches ou certains alternatifs super green se poseront la question de savoir de quoi je parle (Kiki quoi?), en supposant que par hasard quelqu’un de leur entourage ait pris la peine d’imprimer ces lignes. En tout cas, une petite recherche d’images pour les non-aquariophiles, ça peut se faire.

Bref, outre des guppys et des danio, dans l’aquarium il y a un seul combattant -deux mâles ne survivent jamais ensemble car ils combattent jusqu’à la mort (pour le territoire), mais leur agressivité est canalisée uniquement sur un autre mâle de la même espèce-, donc je disais, un seul beau mâle couleur bleu roi, tranquille, qui accepte bien la présence des autres petits poissons à la condition de ne pas se faire enquiquiner. Et d’ailleurs il semblerait qu’aucun individu n’ait osé lui manquer de respect à ce point. Aucun, pas complètement ! Car parmi les danio, il y a celui-là, un petit mâle qui passe son temps et sa longue vie (plusieurs années, comme quoi être chiant ça conserve) à emmerder et pourchasser ses compagnons danio ou guppys. Bientôt ceux-ci, à force d’être surpris, stressés et malmenés, ont péri et peu à peu l’aquarium s’est vidé.

Sont demeurés seuls le fameux danio et le fier combattant. C’est alors que le petit danio agressif a commencé à aller déranger le gros combattant, sans trop dépasser les limites pourtant car l’autre lui fonce immédiatement dessus sans ménagement, toutes voiles dehors. Ainsi sont passés les mois, et le danio cherche toujours à agacer le gros bleu, il le prend par surprise et puis s’échappe et va se cacher dans les feuillages. Il est vraiment téméraire, sans toutefois accéder à une folie imprudente.

Le combattant se fait vieux, il devient toujours plus placide, mais sans jamais se rendre, répondant aux défis du danio de toutes ses dernières forces. Il a fini sa vie de poisson, bloqué entre le sable et des feuilles, comme le font tous les combattants.

Le danio, peut-être désespéré par sa solitude, continue parfois, par habitude sans doute, à se jeter brutalement sur un fantôme de quelque ancien compagnon. Puis est arrivé le temps où lui aussi bouge de moins en moins. Mais il ne renonce jamais, il tient tête et défie la mort pendant plusieurs semaines. Quand, complètement affaibli, il réussit malgré tout à se bloquer dans le sable, alors il accepte de mourir, non comme un simple danio le ventre en l’air à la surface, mais comme un brave combattant, au fond de l’eau.

C’est là que la sœur de la mère Ubu l’a retrouvé, tout en bas de l’aquarium.

Paix à son âme d’ostéichtyen, espérons, s’il y a une justice divine et si la métempsychose n’est pas juste une illusion humaine, qu’il puisse être réincarné en un combattant. En tout cas, il l’a mérité.

Pour la mère Ubu, s'il y a une morale, c’est que la diversité inadéquate et la ténacité exceptionnelle des vilains petits canards la font vibrer et pleurer d’émotion, même s'il s'agit de simples poissons.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
pour moi, la morale c'est: il faut emmerder, mais pas trop, car en tout les cas la victoire rends seuls...
Répondre
S
ça c'est une vraie belle morale ... a trop faire chier, on finit seul ....
S
Merci ma chérie pour cette incroyable histoire de mon danio qui se prenait pour un combattant. C'est qu'il s'en passe des choses dans un aquarium ! je t'embrasse.
Répondre